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La persuasion passe par la séduction des sens avec une accentuation des volumes, une prolifération des courbes et lignes obliques qui donnent un effet dynamique qui prendront plus tard le nom de baroque (Judith Le Corrége, Chapelle Sixtine et La Pieta de Michel Ange, Badel de Pieter Bruegel, et Arcimbolo). Les thèmes prédominants sont le déséquilibre, l’incertitude qui s’illustrent par l’obsession pour la mort, l’eau courante, le temps qui passe, la chute, les abîmes, le reflet, les sables mouvants. En littérature les fantômes, le goût pour le bizarre, la mort signe la fin des guerres de religion en Europe.

Le problème n’est plus de trouver un objet Beau ou Laid, mais de l’étudier en dehors de tout critère mystique ou symbolique sous l’œil du scientifique naturaliste. Descartes, dans le Discours de la méthode (1633), écrit : «Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », précisant que « la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes». Les grands philosophes de l’âge classique (Descartes, Spinoza, Leibniz) sont rationalistes. Puisque l’animal est dépourvu d’âme, son corps n’est qu’une machine perfectionnée. Le mécanisme réduit la vie à un phénomène physico-chimique. Il s’oppose au vitalisme pour lequel seule une « force vitale » supérieure aux simples mécanismes peut expliquer les grandes fonctions du vivant. Les héritages platoniciens et chrétiens se fécondent pour former une notion moderne d’esthétisme fondé sur l'empirisme et le rationalisme leibnizien (1646-1716). Les principes qui sous-tendent la réalité sont identiques aux lois de la raison elle-même. L’être est corrélé à tout par l’essence de sa nature. La raison permet de comprendre le Monde. Le rationalisme exclut du champ de l’observation et de l’expérimentation tout phénomène exceptionnel non reproductible. De fait la science exacte n’étudie pas le phénomène des miracles, des témoignages concernant les faits exceptionnels, tenus pour farfelus. Le Monde est désenchanté. Les mentalités se forment à ne considérer que les phénomènes rationnels. La spiritualité tend vers un déclin.

Les temps sont à la reconstruction. Au contraire du Baroque, le Classicisme est l’Art des proportions, de l’honnête homme, des mathématiques, des ombres et des modelés. Les sujets sont nobles, à la gloire de la morale et de l’action humaine. Les sujets sont tirés de la Bible, de l’Antique, de la mythologie. Le dessin précis l’emporte sur la Couleur maîtresse du Moyen Age. Caravage impose une peinture d’un grand réalisme jouant sur le clair obscur avec des épisodes religieux ou quotidiens empreints de gravité et de spiritualité. Le Beau est la symétrie, le fond sombre ou indéfini rappelle l’infini, un je ne sais quoi d’étrange trouble l’ordre. Alexander Gottlieb Baumgarten, invente le terme « esthétique » en publiant son Aesthetica (1750-1758). La sensibilité ne relève pas directement de la raison. Le goût est le principe d'évaluation suprême du beau et du laid. Montesquieu dans son Essai sur le goût (1757) inaugure un relativisme esthétique intégral. « L’âme aime la symétrie, mais ….aussi les contrastes ». La variété, la liaison accidentelle de certaines idées, la délicatesse, un je ne sais quoi donne du charme. Le Beau est subjectif et dépend du goût de chacun. Entre 1730 et 1745, le style Rococo, terme issu de la rocaille et des concrétions calcaires, affirme un goût pour l’intimité galante, et le raffinement léger loin de la théâtralité austère du Classicisme. Le thème des fêtes galantes est mis en avant par Watteau (Les Bergers) et Fragonard ou la délicatesse des traits se marie à la finesse des couleurs pour exacerber la sensualité, l’érotisme, l’ambiance champêtre, l’empirisme et l’instantanéité dépourvus de toute spiritualité, le décorum ostentatoire inspiré de Chine et de Turquie et s’adressant à un publique riche et aristocratique. L’époque est avide de voyages lointains, de nouveaux paysages et de nouvelles coutumes pour éprouver de nouveaux plaisirs. Le goût pour l’exotique, l’étonnant, le différent se développe. Edmund Burke (Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du Beau) 1756, introduit la distinction entre sublime et Beau. Comment la terreur peut-elle causer un ressenti de Sublime ? Réponse ; quand elle ne nous talonne pas. Le Sublime comme le Beau implique un détachement, un désintérêt, une distanciation par rapport au réel. A l’époque Baroque l’artificieux et l’ingénieux deviennent critères de Beauté. C’est le triomphe de la roue dentée. La Beauté de la machine induit la Beauté du mécanisme au-delà de l’effet produit. Jean-Jacques ROUSSEAU La Nouvelle Héloïse (1761) « J’ai toujours cru que le Bon n’était que le Beau en action, que l’un tenait intimement à l’autre, et qu’ils avaient tous les deux une source commune dans la nature bien ordonnée. Il suit de cette idée que le goût se perfectionne par les mêmes moyens que la sagesse... ».

Le libéralisme affirme la souveraineté de l’individu face aux pouvoirs des Etats et de l’église. Le Néoclassicisme vient avec le développement de l’archéologie qui redécouvre les trésors antiques. La beauté renoue avec la vertu, les valeurs civiques et l’héroïsme à des fins propagandistes. Maurice Quentin de La Tour Portrait de Madame de pompadour 1775. « La beauté n’est pas une qualité inhérente aux choses elles-mêmes, elle existe seulement dans l’esprit qui la contemple, et chaque esprit perçoit une beauté différente. Une personne peut même percevoir de la difformité là où une autre perçoit une beauté différente.» David HUME (1711-1776). L’empirisme dominant en Angleterre (Locke, Hume) instruit que la connaissance découle de l’expérience, et chacun veut expérimenter à son tour, faire sa propre opinion du Monde. La république des masques de Venise dérégule en protégeant du désordre. Casanova (1725-1798) illustre par le libertinage la tolérance des mœurs dans les limites de l’ordre politico-religieux. Carnaval déborde dans le temps d’octobre à mars. Le grand canal de Louis XIV à Versailles montre l’engouement des cours d’Europe pour Venise, ville de tous les plaisirs. Les anglais inaugurent la pratique du Grand Tour, voyage visant à parfaire l’éducation des jeunes nobles. Chaque année, la population de Rome s’accroît de milliers de visiteurs de toute l’Europe désireux d’enquêter sur les savoirs antiques. La science prend une part croissante dans les salons où s’entremêlent artistes, savants, érudits, voyageurs et aristocrate. Les expériences des frères Montgolfier frappent les esprits. Les ambassades déploient une énergie frénétique pour acquérir peintures, sculptures et objets décoratifs imités de l’art gréco-romain.

Emmanuel Kant, dans sa Critique de la faculté de juger (1790), attribue quatre caractéristiques centrales au jugement de goût portant sur la Beauté : le ressenti d’une satisfaction désintéressée, universelle, nécessaire et non réductible au Vrai ou au Bien. Si le beau conduit à l'intelligible, ce n'est pas directement par le concept (connaissance) ni par l'intuition (schème), mais par une possibilité subjective, celle de se rattacher indirectement, par la voie symbolique, au suprasensible. Des éléments non rationnels pénètrent le Beau. Le romantisme aime la beauté vague à la limite de l’abstrait. On apprécie le Beau comme s’il incarnait la perfection d’une règle, alors qu’il est règle en soi. L’affirmation qu’une fleur entre toutes les fleurs est belle ne dépend pas d’un raisonnement basé sur des principes, mais de l’expression d’un sentiment. Dans cette expérience se produit un libre jeu de l’imagination et de l’entendement.

Faute de norme pour le Beau, vient l’idée que le Sublime est peut-être plus définissable moins subjectif. Se développe le goût pour l’exotique, le curieux, l’étonnant, les abysses, la montagne, les paysages sans limites. La puissance de la nature informe, les nuages, la mer déchainée, les roches hardies, les volcans sont difficilement réductibles à des harmonies régulières. Les anglais inventent l’alpinisme et le tourisme. Le sublime confronte notre sensibilité et notre imagination limitée à l’infini. L’adéquation est impossible entre l’imagination et l’entendement qui produit un plaisir inquiet envers une œuvre d’Art et une terreur en cas de réalité proche. Notre nature sensible est humiliée par l’infinie puissance.

En seconde moitié du XVIII éme siècle les objets traditionnels insupportent. La recherche est ouverte vers des thèmes nouveaux. Que les ruines antiques apparaissent belles et une nouveauté, de même que Marat assassiné dans sa baignoire (Jean Louis David 1793). La Beauté perd tout aspect idéal. Elle peut s’exprimer sur des sujets communs les serviteurs, les scènes du quotidien. L’artiste est moins soumis à la dépendance de mécènes, et commence à acquérir une certaine autonomie. Les droits d’auteur sont reconnus et valorisés.

En 1798 Diderot dans "Traité du Beau" renoue avec Plotin et le sensualisme pour valider que l’harmonie fonde le Beau "la perception des rapports est l'unique fondement de notre admiration et de nos plaisirs" et insiste sur le pouvoir d'évocation des figures de rhétorique et des procédés de style comme critère esthétique. "J'appelle donc beau hors de moi, tout ce qui contient en soi de quoi réveiller dans mon entendement l'idée de rapports; et beau par rapport à moi, tout ce qui réveille cette idée" mais comme Montesquieu, il signale « la peinture en devient d’autant plus intéressante, cet intérêt qui nait de l’imperfection, et la raison on a voulu que le héros d’un poème épique ou héroïque ne soit pas sans défaut ». Le débat sur le Beau se déplace de la recherche de règle pour le produire ou le reconnaître vers l’examen des effets qu’il produit. Le Beau introduit une participation sentimentale tant du sujet créateur que du sujet jouisseur de l’œuvre d’art.

~~Les Subjectivistes soutiennent la possibilité d’un accès immédiat et intuitif aux essences ou idéalités. Tout semble beau en fonction de l’avis de chacun, avis faisant appel ou non à quelques connaissances « supérieures ». Le Beau est subjectif puisqu’il est l’expression d’un sujet réalisant un objet jugé par un observateur. A la fin du XVIII ème siècle les dames baroques font place à des femmes moins sensuelles mais aux mœurs plus libres, délivrées de leur corset étouffant, les cheveux flottants sur leurs épaules, et tenant salon. Deux tendances principales vont succéder à l'analyse kantienne. La première, esquissée par les Lettres sur l'éducation esthétique de l'homme (1795) de Friedrich Von Schiller et poursuivie dans les Leçons d'esthétique (1835) de Georg Wilhelm Friedrich Hegel, consiste à refuser le partage kantien entre l'empirique et le transcendantal, l'universel et l'historique, en concevant la beauté comme un phénomène synthétique dans lequel le sensible et l'intellectuel s'unissent en une figure harmonieuse.

Tag(s) : #Evolution du Beau
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